Fidèle à sa galerie, l’artiste évoque sans jamais les montrer, les 2132 peintures réalisées à ce jour, ayant recours à toutes sortes de supports.
Comment donner une suite à …Etc? Et comment parler de la peinture sans la montrer? Cette dixième exposition de Didier Mencoboni à la galerie Eric Dupont répond de façon magistrale à ces questions. Pour bien comprendre le propos, il faut remonter à une trentaine d’années lorsque l’artiste (né en 1959) a commencé à faire ce qui est depuis devenu une impressionnante série de petits tableaux (2132 à ce jour) tous titrés par leur numéro respectif suivi de « etc. ». Comme un journal peint racontant au fil des jours les effets et les faits (divers) de la peinture.
Fragments de couleurs
Dans l’une des trois salles de la galerie, deux grands dessins horizontaux offrent une perspective, dans tous les sens du terme, à l’etc. De loin, on croit voir une nuée d’oiseaux. De près on découvre que Mencoboni a multiplié au crayon les trois lettres qui, selon le degré de leur resserrement, créent des densités de gris et de noir différentes. Un lac de signes? L’un de ces papiers évoque sur sa gauche un espace blanc et sur sa droite un second rectangle assez sombre, lui, car saturé par les lettres. Vide et plein, absence et présence, l’œuvre évoque les tableaux non montrés dans une ambiance suspendue à la Beckett. En attendant les tableaux. Un troisième dessin les suggère empilés, avec certains d’entre eux décalés comme des tremplins pour mieux nous faire plonger cette fois dans des cercles de couleurs. La couleur, on la retrouve tout de suite sur deux toiles. Celles-ci font voleter des spaghettis de teintes, fines lamelles de peintures que Mencoboni a découpées dans certains de ses dessins qui ne lui convenaient pas et qu’il a ici jetées au hasard et collées sur fond blanc. Ils appartiennent à la série Ramdom remake (Remake aléatoire) et rappellent que chez Mencoboni, rien ne se perd? La couleur se transforme d’ailleurs dans une seconde salle où sont suspendus à la verrière ou accrochés aux murs des mobiles composés de petits cercles ou ovales en plexiglas ou en miroirs. Histoire de faire sortir, sans entrer dans la subtilité des détails, la couleur du tableau, de lui donner face, profil, tranche, volume, et de la mettre en abîme avec les reflets, et en mouvement avec les courants d’air. Une façon pour Mencoboni de rappeler que pour lui la peinture se promène, qu’elle n’a pas de territoire réservé.
La photo fixe les rebus de ses toiles
Ce nomadisme est manifeste un peu plus loin où la peinture se retrouve cette fois en photo. Cinq tirages montrent en effet des formes en relief constituées des déchets, des résidus de matières qui s’accumulent dans l’évier de son atelier lorsqu’il y nettoie ses pinceaux. Toujours avec cette volonté de redonner vie aux choses, l’artiste récupère ces « peaux » de peinture et photographie les agglomérats de couleurs ainsi (dé)formés ? Du trois en un, finalement, puisque la photo révèle la peinture qui s’est transformée en sculpture, (sous un aspect qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler certaines œuvres de John Chamberlain). Mais la matière picturale peut aussi conduire à l’immatérialité de l’image et la multiplication des possibles pour atteindre son sommet avec un iPad sur lequel défilent les milliers de formes, matières, couleurs de la série « …Etc . » qui ont été modélisées et injectées dans un programme pour constituer une énorme base de données. Sur l’écran, les compositions s’auto-engendrent pour faire défiler à grande vitesse, un nombre infini de tableaux. Intitulée Génération …Etc…, l’œuvre donne également son titre à l’exposition. Réalisées sur 24 heures, des captures d’écran ont donné lieu à l’impression sur papier de 20160 (!) petites peintures reliées en une suite de livres en 24 volumes.
Henri-François DEBAILLEUX
Journal des Arts N°406 (31-01-2014)